Comme toujours, elle le narguait.

Il se tenait devant elle, timide, empoté, incapable d’un geste ou d’une parole. Stupide.

Elle lui présentait la blancheur immaculée de son teint. Il pouvait même percevoir le velouté de son grain. Mais rien à faire, il restait là les bras ballants à la contempler. Il sentait son cœur battre à tout rompre. Il sentait son imagination essayer d’insinuer en lui des images qu’il refusait. Un filet de sueur froide glissait le long de sa colonne vertébrale. Il se haïssait. Il n’y arrivait pas. Il n’y arriverait jamais. Que se soit à la lumière d’une belle journée de printemps ou dans le crépuscule d’une nuit sans lune, il n’y arriverait jamais.

Il la contemplait. Dans sa tête se bousculaient ses rêves, ses fantasmes, tout ce qu’il n’avait jamais osé lui confier et de ce côté-là, il savait son trésor inépuisable. Elle l’attendait, patiemment, abandonnée, livrée à son plaisir…amoureuse. Elle soignait son drapé, jouant des reflets qui courraient sur sa peau et l’habillaient d’une lumière chamarrée.

C’était comme ça depuis si longtemps. Il aurait du s’y résoudre et l’abandonner. Elle ne serait jamais à lui. Il n’arriverait jamais à percer son mystère, à dompter son insolente pureté. Il aurait dû fuir devant tant de beauté.

Un sentiment de dégoût lui vint en bouche. Son estomac voulu s’échapper et il ne le retînt qu’à grand peine. Il avait résolu d’en finir. Cela ne pouvait plus durer. Elle le savait. Il se leva et se dirigea vers la cuisine. Ses pas étaient lourds, menaçants en même temps qu’hésitants. Ont eu dit un de ces bateaux ivres des jours de tempêtes qu’il aimait tant observer.

D’ailleurs, ivre, il l’était peut-être. Pour se donner du courage. Il l’était sans doute. Il l’avait payé assez cher. Sa vie s’était échouée au fond d’une bouteille. Un puis un jour, elle était apparue. Il ne savait pas comment, ni pourquoi elle était entrée dans sa vie. Elle avait fait jaillir la lumière dans sa caverne. Elle avait dégagé la source du désir. Un désir violent, impérieux. Il n’avait pas voulu y prêter attention, au début. Une tocade. Ca lui passerait…Mais elle s’était accrochée comme une bernique à son rocher. Mais pourquoi ?

Qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ? Il n’était rien. Rien qu’une loque, un débris d’homme, un parasite. Il l’insultait à longueur de journée. Plus elle se montrait câline et affectueuse, plus il la rejetait loin de lui. Sa goujaterie était une muraille, sa brutalité une arme. Elle ne pouvait pas lui foutre la paix et disparaître de sa vie ?

Il sentait bien que s’il la laissait s’installer, s’en était fini. Il devrait rebondir. Il devrait renaître et ça, il ne le voulait pas. Pour rien au monde et se ne serait pas elle, avec ses airs d’oies blanches, qui lui ferait quitter sa déchéance. C’était son domaine, son royaume bâti à coup de renoncements et de décrépitudes. C’était à lui et à lui seul !

Elle était là, paisible, confiante, l’écoutant sans l’interrompre. Pas même résignée. Insupportable !

Il saisit un couteau et marcha vers elle. Elle n’eut pas un geste de recul ou de défense. Pas un cri, pas un mot. Elle s’offrait dans un silence consentant. Il posa la main sur elle, lui hurlant de fuir. Sous sa paume, elle n’eut pas un frémissement.

Il n’osa pas la regarder et détourna les yeux. Il abattit son couteau de toutes ses forces dans un rugissement barbare. Un cri déchirant lui répondit. Le sang gicla, maculant l’indécence blancheur d’une écarlate accusation. Il roulait des yeux fous en contemplant son œuvre.

Son doigt gisait au pied du chevalet sur lequel une toile lacérée et maculée de son sang le contemplait, victorieuse.

Folie meurtrière

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